B’ha’alotkha

(Nombres 8:1 – 12:16)

  • Le voyage du livre dévoilé


UN LIVRE PAS A SA PLACE

Pourquoi les versets 35 et 36 du 10 ème chapitre de notre parasha sont ils encadrés de signes graphiques que la tradition a identifiés comme étant deux « Noun » inversés? (14 ème lettre de l’alphabet hébraïque)

Le texte biblique ne possède pas de voyelles dans son écriture liturgique consonantique. De plus la ponctuation n’existe pas.
Tout signe porté sur le corps du rouleau aurait exprimé un choix particulier, qui pouvait être accepté comme une exégèse possible du texte, mais ne pouvait être reçu comme représentatif de l’exégèse rabbinique par excellence.

Cependant, dans notre cas, la tradition a accepté d’intégrer, dans le corps du texte, deux signes avant et après les versets 35 et 36.

Les Maîtres ont enseigné dans une « Baraita »: ‘Et c’était lorsque l’Arche voyageait…’ (Nom.10:35-36), le Saint, béni soit-il a tracé pour ce passage des signes en haut et en bas pour dire que ce n’est pas sa place.
Ces « Noun » seraient une indication que le texte qu’ils encadrent était marqué par des « Nekoudot » (points) au-dessus et en dessous de chaque lettre, du début a la fin du texte.

Et ou se trouve sa place ?
Rav Achi dit ce verset devrait se trouver au chapitre 10 verset 14 du livre des Nombres.

Rabbi dit: la raison de ces signes viennent nous apprendre que ce passage constitue un livre en lui-même.

Il y aurait un texte de la Thora qui, délibérément, n’aurait pas été écrit a sa place. Ne pas être a sa place signifie ici l’impossibilité fondamentale de trouver un lieu de séjour.

Pourquoi ce texte de deux versets n’est il pas a sa place ? Dans ces deux versets, il est question du « Voyage de l’Arche » départ et halte. L’Arche est le support de la loi. (elle contenait les débris des premières tables, les secondes tables de la loi et un Sepher Thora)

Être, c’est pour la Thora, être en voyage. Et le voyage n’a pas de lieu. Le voyage est non lieu.

 

L »EFFACEMENT DE L »EFFACEMENT

Selon les explications du Talmud, la présence de points « Nekoudot » sur une lettre ou un mot est un signe, comme un clin d’oeil lancé par le texte, pour nous inviter a l’effacement plus ou moins radical du sens du mot en question. Cet effacement peut être une simple atténuation aussi bien qu’une inversion de sens.
Il y a d’autres cas dans la Thora voyons deux exemples:

1) Essau courut a sa rencontre… et l’embrassa. (Gen.33:4) le mot ‘il l’embrassa’ est entièrement pointé.
Le Midrash commente: il le mordit.

2) « Total des recenses parmi les Lévites, ceux que recensèrent Moise et Aaron » (Nom.3:39)
Le nom de Aaron est entièrement pointé.
Le Midrash explique qu’Aaron (qui est lui même Lévite) n’était pas inclus dans le compte des recensés. Par le pointage, Aaron est exclu, effacé.

Donc si le mot est entièrement pointé, il sort de son sens habituel ou de l’opinion que l’on se fait de son sens habituel.

Une remarque importante s’impose. Dans les deux versets qui nous occupent, il existe des points au-dessus et au-dessous de chaque lettre. Il y a donc une sorte d’effacement d’effacement (négation de la négation).
Il est certainement vrai que les points inférieurs effacent l’effacement provoqué par les points supérieurs.

Cependant, cette impossibilité d’exister sous la forme d’objets, de figures dans l’espace ne signifie pas anéantissement, mais métamorphosé. 

L »ÉCLATEMENT DU LIVRE

Les « Nounim » réalisent une coupure dans le livre des Nombres, ou se produit comme un éclatement du livre en trois livres qu’on pourrait appeler: Bamidbar 1 verset 1 au chapitre 10, Bamidbar 2, verset 35 et 36 du chapitre 10; Bamidbar 3, chapitre 11 a la fin du livre.
Ainsi, la Thora ne serait plus un pentateuque (cinq livres) mais un heptateuque (sept livres).
Cette tradition des sept livres, moins connue que celle des cinq livres, est cependant confirmée par un enseignement de Rabbi Chmouel bar Nahmani, au nom de Rabbi Yonathan.

‘Que signifie le verset 1 chapitre 9 du livre des proverbes: « La sagesse a construit sa maison, elle a taille ses piliers au nombre de sept » ? Ce sont les sept livres de la Thora !’

L’éclatement du livre de Bamidbar nous met sur le chemin de l’idée de transcendance et d’expérience de la pensée de l’infini.
La Thora est donc le lieu du paradoxe, elle recueille l’Infini (Tsimtsoum), mais dévoile immédiatement son incapacité a cet accueil en montrant que l’infini ne peut se laisser englober, ne peut se laisser enfermer en une présence sur laquelle on pourrait avoir une quelconque emprise.
Il y a alors débordement, et plus, éclatement du livre en trois livres. 

LA « THORA CHEBEAL PE » (Thora orale)

Tous les textes qui se réfèrent au « voyage de l’Arche » ne s’attachent pas au sens de ce passage, mais ils font tous allusion au nombre de lettres qui le composent , a savoir 85 lettres.
En « Guématria » les deux lettres qui écrivent le nombre 85 sont « Pe » et « He » c’est a dire ‘bouche’

Il y a deux Thora: « Thora chebiktav » loi écrite et la « Thora chebeal pe » la loi orale C’est certainement a cette dernière la « Thora chebeal pe » que fait allusion notre passage du « voyage de l’Arche » Le dire du ‘voyage’ ne doit pas s’arrêter, s’échouer dans un dit. Le dynamisme de la parole ne peut être enfermé dans la synchronie de l’écrit.
Les « Nounim » enseignent: Il est ‘l’écrite’ et donc toujours en train d’être dans le mouvement de l’écrire.

« Les barres engagées dans les anneaux de l’Arche ne doivent pas la quitter » (Ex.25:15)
La loi que porte l’Arche est toujours prêt au mouvement, n’est pas attaché a un point de l’espace et du temps, mais a tout moment est transportable et prêt au transport. Il s’agit d’un voyage perpétuel, incessant. Le sens n’est jamais la ou il se donne. Un sens donné est d’emblée non sens. Le sens thématise est mort. Le « voyage de l’Arche » est bien le dynamisme de signification.
L’Arche est le lieu du non lieu; lieu de la parole divine; « voyage de l’Arche » voyage de la parole !

Basé sur: Le livre brûlé de Marc-Alain Ouaknin

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Bet Duality in world creation, first letter of the Thora (Bereshit), construction